Christian Globensky
Les Tanneries – Centre d’art contemporain, 2021-2022
Photo : Christian Globensky
Courtesy des Tanneries – CAC, Amilly

Christian Globensky
Les Tanneries – Centre d’art contemporain, 2021-2022
Photo : Christian Globensky
Courtesy des Tanneries – CAC, Amilly

Christian Globensky
Les Tanneries – Centre d’art contemporain, 2021-2022
Photo : Christian Globensky
Courtesy des Tanneries – CAC, Amilly

Christian Globensky
Les Tanneries – Centre d’art contemporain, 2021-2022
Photo : Christian Globensky
Courtesy des Tanneries – CAC, Amilly

Christian Globensky
Les Tanneries – Centre d’art contemporain, 2021-2022
Photo : Christian Globensky
Courtesy des Tanneries – CAC, Amilly

Christian Globensky
Les Tanneries – Centre d’art contemporain, 2021-2022
Photo : Christian Globensky
Courtesy des Tanneries – CAC, Amilly

Christian Globensky
Les Tanneries – Centre d’art contemporain, 2021-2022
Photo : Christian Globensky
Courtesy des Tanneries – CAC, Amilly

Christian Globensky
Les Tanneries – Centre d’art contemporain, 2021-2022
Photo : Christian Globensky
Courtesy des Tanneries – CAC, Amilly

Christian Globensky
Les Tanneries – Centre d’art contemporain, 2021-2022
Photo : Christian Globensky
Courtesy des Tanneries – CAC, Amilly

Christian Globensky
Les Tanneries – Centre d’art contemporain, 2021-2022
Photo : Christian Globensky
Courtesy des Tanneries – CAC, Amilly

L'espace digital du Studiolo est pensé comme le prolongement numérique et expérimental de l'atelier partagé par les artistes et les membres de l'équipe des Tanneries - que ce dernier soit physique ou encore mental - au fil des actions menées.
Le studiolo consacré à la micro-résidence artistique et de documentation effectuée par Christian Globensky du 29 novembre 2021 au 3 juin 2022 propose une immersion dans les trois phases de réalisation et de restitution d'un projet fragmentaire aux multiples facettes qui fait la part belle aux espaces qui composent le centre d'art, dans leurs recoins mêmes.
Pensé ici comme la somme de regards croisés, il est aussi le principal lieu de diffusion de celui posé par Isabelle de Maison Rouge sur le corpus photographique issu de la résidence, via la rédaction d'un texte spécifique sur invitation du centre d'art. Un regard critique qui trouvera également place au sein d'une affiche-programme dédiée au projet.

>> TEXTE

« Une vision détaillée »

Chaque métier nécessite un outil spécifique et le bâtiment qui l’abrite s’y plie la plupart du temps, sa physionomie rend compte de l’organisation du travail qui s’y déroule dans ses proportions et selon l’organisation de sa logistique. Qu’est-ce qui distingue entre eux des espaces ayant diverses destinations professionnelles affectés à la réception d’un public particulier ?  Quels sont les spécificités et règles respectées par les dirigeants des dits établissements qui permettront à l’usager d’en percevoir au premier coup d’œil et à coup sûr l’usage des bâtiments ? Généralement nous y trouvons des espaces d’accueil avec comptoir et hôtesse ou employé particulier prêt à répondre aux questions du visiteur. Un cheminement propre est le plus souvent réservé aux personnes à mobilité réduite ou le trajet leur est adapté, un autre parcours est, lui, réservé aux employés formant le cœur du personnel travaillant dans la structure, bien distinct du passage des invités ou clients. Le sens de circulation est la plupart du temps matérialisé par un système de fléchage, de marquage, de signalétique propre indiquant la direction de la déambulation. Un mobilier adapté et caractéristique répond à la destination du lieu et à son emploi.

Habitués que nous sommes à pénétrer dans de tels univers, nous repérons immédiatement ce qui nous met sur la piste des rites et coutumes qui régissent de tels dispositifs, notre œil, simultanément à notre cerveau, comprend instantanément que nous nous trouvons dans une école, un hôpital, une usine, un musée ou un centre des impôts. Faisant abstraction de l’ancienne destination des tanneries, construites en 1947 afin d’améliorer le rendement industriel de la production de cuir d’équipement et d’ameublement pour fournir au mieux l’armée, de son état intermédiaire de friche envahie par des artistes et de sa transformation en centre d’art, l’artiste plasticien Christian Globensky tourne quelque peu le dos à cette aventure architecturale et sociétale. Au fil d’une micro-résidence effectuée en trois temps, hiver 2021 et printemps et été 2022, il entreprend de donner à voir Les Tanneries – Centre d’art contemporain selon son propre prisme.

Par une absence totale de la représentation classique d’un tel bâtiment, il interroge sur la fonction d’un établissement culturel. Dans ses prises de vues dans les institutions muséales, ce ne sont pas elles, ni le statut qu’elles représentent, qu’il va chercher à rendre perceptible. Non. Ce qui l’intéresse est ce qui se passe dans les marges, les coins et les recoins, les angles et les renfoncements, ce que l’œil, ou plutôt, dans son cas, l’objectif de l’appareil, va débusquer de ce qui n’indique pas du tout ce qui se passe dans un centre d’art. Il s’applique à soustraire tout ce qui correspond à l’activité autour des œuvres exposées pour mieux rendre compte du lieu hors connotation culturelle. L’activité de photographe de Christian Globensky n’est pas celle d’un reporter ou documentariste, il ne fictionnalise pas non plus, il se contente de rendre visible en proposant un regard décalé sur le réel de l’activité du centre.

Sa pratique ne s’inscrit pas pour autant dans la démarche engagée par un certain nombre d’artistes de la fin des années 1960 et des années 1970 qui s’attaquaient à l’institution muséale, la décriaient et la considéraient comme mortifère pour les œuvres. Le musée, support privilégié de l’élaboration du discours culturel, était devenu, lui-même, l’objet de nombreuses critiques. Longtemps considéré comme un sanctuaire supposé neutre pour l’œuvre d’art, son fonctionnement a été analysé et remis en cause par certaines pratiques artistiques et sujet d’étude d’une pensée critique. « Les musées sont les sépultures familiales des œuvres d’art » énonce sans détour Theodor Adorno. Et c’est précisément en réponse à ces critiques acerbes que sont nés les premiers centres d’art contemporain en France dans ces mêmes années. Conçus comme des lieux de recherche et de création, ces lieux de production et de diffusion de l’art contemporain entretiennent des rapports privilégiés avec la création artistique vivante et se tiennent au plus près de l’actualité artistique. Le but avoué est de mettre l’art à la portée du plus grand nombre et de le rendre ouvert.

Or justement, Christian Globensky choisit délibérément de nous montrer un centre d’art vidé de ses œuvres, comme de son public, tout autant que de son personnel. Aucune pièce exposée ou entreposée n’est visible, pas plus que n’apparaissent les êtres humains. Alors me direz-vous, que voyons-nous ? Des détails. Qu’il soit découvert de manière fortuite ou immédiatement identifié, peu à peu ou directement, scruté, isolé, détaché de son ensemble, le détail offre une tout autre manière de voir et d’appréhender l’espace en oubliant sa destination. Mettre un peu de côté ce qui fait l’ADN des Tanneries, comme l’a fait déjà auparavant Christian Globensky avec d’autres centres d’art, c’est proposer un angle d’attaque sans attache particulière, mais décalé et pertinent. Un angle à travers lequel, paradoxalement, ce même ADN affleure ici et là, à la faveur des détails architecturaux qui ont nourri la construction de l’identité du centre d’art, visuelle comme artistique.

Par son pas de côté, ses écarts ou sa résistance, l’artiste nous fait éprouver l’attention qu’il porte au réel et à la réalité du centre d’art ; un regard qui permet des découvertes et des questionnements et nourrissent l’expérience que peut en faire le visiteur. « Que se passe-t-il dans ces moments privilégiés où un détail se voit ? De quelles surprises ces moments sont-ils porteurs ? Que fait celui qui regarde ‘de près’ et quelle ‘récompense’ imprévue cherche-t-il ? » s’interrogeait Daniel Arasse, qui a passé sa vie à étudier et proposer une histoire de l’art rapprochée. Christian Globensky ne répond pas, mais pose à son tour ces questions.

Isabelle de Maison Rouge
Juin 2022



>> CONTEXTE

En lien avec le fil de saison de programmation Draw Loom et la politique de documentation visuelle du centre d’art, Christian Globensky a été invité à effectuer sur 2021 et 2022 une micro-résidence composée en trois temps (hiver, printemps et été) afin de produire une documentation singulière – littéralement détaillée et décalée – des espaces du centre d’art, qui entre profondément en écho avec une des particularités de sa démarche artistique.

Artiste, auteur et pédagogue, Christian Globensky œuvre sous la bannière de la Keep Talking Agency, aussi appelé KTA Studio, ou KTA Éditions, selon les différentes activités qu’il réalise, produit, édite et distribue. Un atelier d’artiste donc, un laboratoire d’art et d’idées. Artiste plasticien, il travaille l’installation à partir des pratiques de l’écrit, de l’objet, de la performance et de la photographie. Docteur en Arts et Sciences de l’Art et diplômé des Beaux-Arts de Paris, Christian Globensky enseigne la pratique et la théorie des arts médiatiques à l’École Supérieure d’art de Lorraine/Metz. Il est représenté par la Galerie Stéphane Mortier à Paris.

Une particularité de son travail d’artiste est de photographier les espaces d’exposition dans leur aspect de contenant, en soustrayant le contenu qui y est présenté. Ce qui revient à dire qu’il ne photographie pas les œuvres exposées, mais ce que l’on voit lorsque l’on détourne le regard de celles-ci. Si comme le pensait Marcel Duchamp, « ce sont les regardeurs qui font les tableaux », Christian Globensky estime que ce sont les visiteurs qui font les œuvres : il faut simplement, en un déclic, les activer.

Ce faisant, il essaie toujours d’aborder les musées et centres d’art qu’il photographie en se laissant transformer par eux, sans offrir de résistance : c’est alors un lâcher-prise qui oriente peu à peu les prises de vues. Il traque ainsi les recoins des musées, centres d’art et fondations afin de prendre littéralement conscience de ce qui se joue dans les marginalia de la monstration, c’est-à-dire de saisir ce que l’on voit quand on ne regarde plus les œuvres exposées. À travers ces photographies, Christian Globensky se met en quête d’une manière d’être présent au monde, dans une forme de suspension du temps censée ouvrir les portes à une autre perception de ce dernier. Ce faisant, il cherche intrinsèquement à capter et exprimer la présence du présent et à entrevoir la possibilité de percevoir et de comprendre que ce que nous regardons est aussi une entité – vivante ou non – qui nous regarde.

À travers l’usage du médium photographique, Christian Globensky élabore donc des œuvres réflexives sur les musée et les centres d’arts qui sont autant d’invitations faites aux visiteurs à vivre ces espaces de manières différentes, renouvelées.

Cette démarche entre particulièrement en résonance avec le projet d’établissement du centre d’art, ses différentes lignes de programmation et la stratégie de communication éditoriale qui les accompagne. En cela, la micro-résidence artistique et de documentation menée de façon saisonnière par l’artiste prend tout son sens, d’autant plus que la spécificité des Tanneries et des espaces qui les composent s’exprime dans leurs recoins mêmes, entre visibilités et invisibilités de leur passé industriel et des créations contemporaines qu’ils accueillent.


À la croisée de la démarche artistique et de la prestation de documentation photographique, la micro-résidence de Christian Globensky est exemplaire de la volonté du centre d’art de faire en sorte que les pratiques de documentation et d’éditorialisation qu’il met en œuvre fassent place à l’émergence de gestes artistiques inédits ou poursuivis tout autant que de regards critiques portés sur ces derniers.