Artiste : Érik Bullot / Commissaire : Éric Degoutte

Peut-on voir avec la peau ? Peut-on faire un film avec du papier ou l’intelligence artificielle ? L’exposition Voyages en kaléidoscope d’Érik Bullot présente aux Tanneries une série de variations sur l’hypothèse du cinéma imaginaire.

Du 18 janvier au 27 avril 2025, la Galerie Haute accueille des installations et projections qui utilisent différentes modalités du cinéma sous la forme de collages, de films ou de photographies. L’artiste utilise notamment une intelligence artificielle générative pour simuler des documents à la fois possibles et impossibles, ce qui permet de créer une archive spéculative qui se nourrit des rêves oubliés et des utopies du cinéma. Cette approche expérimentale propose une réflexion sur la transformation du cinéma à l’ère numérique, questionnant non seulement son histoire et son évolution technologique, mais aussi la place de l’intelligence artificielle comme outil de création artistique. Érik explore une temporalité au futur antérieur, imaginant des récits de cinéma qui n’existeront peut-être jamais, mais qui nous interrogent sur ce qui aurait pu être, sur ce que la machine nous permet de reconsidérer.

Parallèlement, au sein de la Petite Galerie durant les week-ends du 25 janvier au 9 février, l’artiste a été invité à composer un programme de films qui font écho aux thèmes de l’exposition : naissance des images, puissance de l’imagination.

Cette exposition s’inscrit dans la programmation de la saison 8Bis intitulée Nos maisons apparentées. Cette dernière explore les liens visibles et invisibles qui unissent les pratiques artistiques, les imaginaires et les territoires, à travers des installations, des films et des projets collaboratifs. Elle interroge la manière dont les artistes, par leurs pratiques et leurs œuvres, créent des ponts entre des histoires individuelles et collectives, entre différents médiums, entre le passé et le présent. L’idée même d’apparentement, déclinés au fil des invitations faites aux artistes, dans celui des approches curatoriales, innerve aussi les promesses des formes spéculatives, entre émergence et effacement, dans des jeux d’écritures (plastiques, filmiques, numériques) constitutifs d’autant de mises en regard.

Voyages en kaléidoscope s’inscrit également dans un cycle d’expositions dédié à l’image en mouvement, qui examine, les possibles du cinéma à l’ère des technologies avancées. Ce cycle a commencé avec The Unmanned de Fabien Giraud et Raphaël Siboni, inaugurée le 30 novembre 2024 et visible jusqu’au 20 avril 2025, et se poursuivra avec l’exposition issue de la résidence territoriale de l’artiste Julie Chaffort. The Unmanned aborde la relation complexe entre l’intelligence artificielle et l’histoire, en explorant des temporalités non humaines et des récits technologiques où la machine devient à la fois acteur et témoin de notre histoire.Ce questionnement résonne et dialogue avec les préoccupations d’Érik Bullot, qui, dans son travail, chemine librement à travers, en bordure, en rebours autant qu’au débord d’une généalogie technologique et esthétique du cinéma. Il est notamment question dans son livre Cinéma vivant, publié chez Macula, où il explore un cinéma affranchi de sa machinerie. À l’heure où les projectionnistes disparaissent et où les films se diffusent sur nos écrans portables, il réactive le rêve d’un cinéma immatériel, libéré des contraintes techniques. L’artiste utilise les outils critiques qu’il a su définir tout au long de son parcours, tant dans son rapport à l’écrit que dans l’expérience filmique, par la pratique du collage, la matérialité des films papier, ou encore dans la discussion engagée avec une intelligence artificielle, pour déconstruire et réinventer le langage cinématographique.De la même manière que The Unmanned brouille les frontières entre l’humain et la machine, Voyages en kaléidoscope interroge le rôle de la machine dans la création artistique, tout en explorant son potentiel à remodeler notre compréhension des images et du récit, à cristalliser les multiples facettes, figures ou possibles qu’elle peut générer.

Le kaléidoscope, motif central de cette exposition, devient alors une métaphore de la fragmentation et de la recomposition incessantes de l’image et des apparentements qui en naissent. Le cinéma fragmenté, multiple et ouvert d’Érik Bullot se nourrit de l’histoire du cinéma, de ses révolutions technologiques et de ses innovations esthétiques, tout en s’appuyant sur des inspirations littéraires telles que Voyages en kaléidoscope d’Irène Hillel-Erlanger(1), qui explorait déjà la vision imaginaire à travers une écriture éclatée et cubiste. Cette approche résonne avec l’œuvre architecturale de Bruno Taut, notamment la Glashaus(2), dont la structure kaléidoscopique exploitait les propriétés du verre et de la lumière pour transformer la perception et stimuler l’imaginaire. À l’instar de cette architecture, le travail de Bullot manipule l’image pour repousser les frontières du visible et redéfinir notre rapport à l’image et à l’espace.

Le voyage auquel nous il nous invite ouvre une réflexion sur la manière dont les technologies contemporaines, en particulier l’intelligence artificielle, peuvent être utilisées pour prolonger l’idée du cinéma, actualiser ses enjeux, mettre en jeu les formes du langage cinématographique. Par des œuvres comme Le Rêve d’Abel Gance(3), l’hommage au cinéaste pionnier se manifeste dans le parti-pris de de projeter son œuvre et son geste à l’âge des images générées par intelligence artificielle. L’ensemble des éléments du film, photographies et musique, a été produit en collaborant avec une IA. Ce dialogue entre l’artiste (É.Bullot) et la machine, entre passé (le cinéma d’Abel Gance et au-delà de lui le cinéma « premier ») et présent (l’émergence générative des images, les flux liés à leur diffusion) illustre l’intérêt d’Érik Bullot pour le cinéma comme matériau à réinventer.

L’une des pièces majeures de l’exposition, Fragments pour un film imaginaire, présente une réflexion sur le cinéma en puissance. Dans cette installation sur deux écrans, les spectateurs sont invités à découvrir des fragments d’un film à venir, potentiel, qui explore les voies de la vision paroptique imaginée par Jules Romains(4), c’est-à-dire voir avec la peau. L’œuvre invite le spectateur à relier les éléments, à nouer des relations entre les scènes et les plans pour construire son propre film. Les avant-gardes cinématographiques du XXe siècle, qu’il s’agisse de Jean Epstein(5), Germaine Dulac(6) ou Abel Gance, sont cités comme les sources secrètes d’un cinéma du possible.

Voyages en kaléidoscope est une exposition qui dépasse la simple contemplation. Chacune des œuvres — séries de photographies, films papier sous forme de collages, installations — tente une approche d’un cinéma imaginaire, à la fois mental, potentiel ou virtuel. Elle propose une expérience multi-sensorielle où chaque mouvement dans l’espace permet de découvrir une nouvelle facette des œuvres, effaçant les frontières entre le réel et l’imaginaire. Cette esthétique immersive s’inspire des recherches théosophiques d’Annie Besant, qui a exploré les Formes-pensées(7), ou des jeux chromatiques de Sonia Delaunay(8), qui cherchait à traduire la dynamique du monde en lumière et couleur.

L’exposition Voyages en kaléidoscope interroge la place du cinéma dans la culture contemporaine. Elle explore non seulement l’héritage du cinéma classique et de ses pionniers comme Abel Gance, mais aussi son avenir à travers l’utilisation de l’intelligence artificielle et des outils numériques. Cette exploration artistique fait écho à la question plus large soulevée par The Unmanned de Fabien Giraud et Raphaël Siboni : comment les technologies redéfinissent-elles l’image et la narration ? Comment le cinéma, dans sa relation aux nouvelles technologies, peut-il continuer à renouveler l’expérience du spectateur tout en réinventant les frontières du possible ? Érik Bullot, en manipulant la lumière, le mouvement et les technologies contemporaines, propose une vision radicale de ce cinéma du futur.

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(1) Roman avant-gardiste qui, à travers une écriture éclatée, questionne la perception et l’interprétation du monde, anticipant des thèmes de fragmentation et de multiplicité qui sont au cœur de l’œuvre de Bullot.

(2) La Glashaus est une structure architecturale construite par Bruno Taut en 1914, marquant un tournant dans l’utilisation du verre et de la lumière dans l’architecture. Elle représente un modèle de transformation de la perception visuelle, en résonance avec l’utilisation de la lumière  et des reflets dans l’univers filmique du Rêve d’Abel Gance de Érik Bullot.

(3) Cinéaste français connu pour ses innovations techniques et narratives dans le cinéma muet, notamment son film Napoléon. Son travail a largement influencé le cinéma moderne, en particulier dans l’utilisation du son et du montage. Bullot rend hommage à ces innovations tout en les confrontant aux technologies contemporaines telles que l’intelligence artificielle.

(4) Écrivain, Jules Romains a développé dans ses réflexions sur la « vision paroptique », des concepts liés à l’exploration des sens et de la perception. Selon lui, cette vision dépasse la perception visuelle traditionnelle et permet de voir « avec la peau ». Son travail a influencé divers poètes proches du surréalisme.

(5) Réalisateur et théoricien du cinéma français, Jean Epstein a exploré dans ses écrits des concepts novateurs comme le « cinéma pur » et l’utilisation de la caméra pour exprimer des visions sensorielles et subjectives. Il a cherché à libérer le cinéma des conventions narratives classiques pour en faire un moyen d’expression artistique à part entière, capable de transmettre des expériences et perceptions radicalement nouvelles.

(6) Réalisatrice, théoricienne du cinéma et féministe, Germaine Dulac est connue pour ses films expérimentaux comme La Souriante Madame Beudet et ses recherches sur les rapports entre le cinéma, la lumière et le mouvement. Elle expérimenta également avec le cinéma abstrait et l’utilisation de la lumière pour déstabiliser la perception du spectateur, influençant des artistes qui, comme Bullot, cherchent à déconstruire les langages cinématographiques traditionnels.

(7) Concept théosophique développé par Annie Besant, qui posait que les pensées humaines pouvaient créer des formes énergétiques visibles. Cette idée d’une transformation de l’énergie mentale en forme tangible se rapproche de la manière dont Bullot manipule les formes et les lumières dans ses installations pour créer des expériences sensorielles et intellectuelles.

(8) Artiste peintre d’origine ukrainienne, Sonia Delaunay est l’une des figures majeures du mouvement simultanéiste, qui cherchait à explorer les relations entre la couleur, la lumière et le mouvement. Son travail se distingue par une utilisation dynamique et vibrante des couleurs, souvent en juxtaposant des formes géométriques et des jeux chromatiques pour créer des compositions sensorielles et énergétiques. Elle a également appliqué ses recherches artistiques aux arts décoratifs, à la mode et à la conception de costumes, cherchant à traduire visuellement la perception du monde en une expérience immersive, où la lumière et la couleur deviennent des moyens de transmission de l’émotion et de la dynamique du monde.

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VERNISSAGE SAMEDI 18 JANVIER 2025 DÈS 14H30

 

>> NAVETTE GRATUITE PARIS < > LES TANNERIES
Aller : départ de Paris, 5 avenue Porte d’Orléans, à proximité de la statue du Général Leclerc, à 13h
Retour : départ depuis Les Tanneries à 19h

>> NAVETTE GRATUITE GARE DE MONTARGIS < > LES TANNERIES
Aller : départ depuis la gare de Montargis à 15h15 (en lien avec le TER au départ de Paris-Bercy à 14h11 < > arrivée Gare de Montargis à 15h08)
Retour : départ depuis Les Tanneries à 19h (en lien avec le TER Gare de Montargis, départ 19h50 < > Gare de Paris-Bercy, arrivée 20h49)

Inscription aux navettes obligatoire avant le 17 janvier 2025. Pour réserver une ou plusieurs places, veuillez communiquer votre nom et numéro de téléphone par mail ou par téléphone : contact-tanneries@amilly45.fr / 02.38.85.28.50

 

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Les artistes programmé.e.s au fil de la saison #8bis – Nos maisons apparentées 

Cycle 1
19 octobre 2024 : Inauguration de la seconde saison artistique d’un cycle de programmation de trois années intitulé Nos maisons apparentées
*Exposition Tableaux manquants de Bruno Rousselot, Galerie Haute, jusqu’au 22 décembre 2024.
*Exposition Thickness of the air de mountaincutters, Verrière et Petite Galerie, jusqu’au 19 janvier 2025.
*Exposition Richard Long, de pierres, un commissariat de Bénédicte Ramade, jusqu’au 3 novembre 2024 (visible depuis juin 2024).
30 novembre 2024
*Exposition The Unmanned de Fabien Giraud & Raphaël Siboni, Grande Halle, jusqu’au 20 avril 2025.

Cycle 2
18 janvier 2025
*Exposition Voyages en kaléïdoscope d’Érik Bullot, Galerie Haute, jusqu’au 27 avril 2025.
*Un cycle de projections déterminé par Érik Bullot se tiendra chaque week-end, entre le 25 janvier et le 9 février en Petite Galerie.
1er mars 2025 (sous réserve)
*Exposition (Y)OUR SONG de Julie Chaffort dans le cadre de sa résidence territoriale initiée en septembre 2024, Verrière et Petite Galerie, visible jusqu’au 27 avril 2025.

Cycle 3
7 juin 2025 (sous réserve)
*Exposition A Family of Rooms de Vincent Barré, visible jusqu’en septembre 2025.
Cette exposition regroupera des œuvres de collections privées et publiques d’artistes ayant une grande importance dans la parcours de l’artiste (sous réserve : Simon Hantaï, Jean Arp, Alberto Giacometti, Stanislas Kolibal, Josef Beuys, Carl André, Edouardo Chillida, Richard Deacon, Toni Grand, Robert le Ricolais, Judith Reigl, James Bishop, Pierrette Bloch, François Bouillon, Roger Blin, Geneviève Asse, Jean Prouvé, Daniel Boudinet), Grande Halle et Galerie Haute. Des artistes, élèves de Vincent Barré, (Antoine Nessi, Blandine Brière, Tsama Do Paço, Bertille bak, Julien Laforge, Marc Herblin, Matthieu Pillaud, Gabrielle Conilh de Beyssac, Pierre-Alexandre Rémy) seront aussi présenté.es, Verrière et Petite Galerie.

21 et 22 juin 2025 (sous réserve)
* Les (F)estivales 2025 week-end estival de rencontres artistiques, de performances, de concerts et de projections.

 

Cette saison 8bis sera ponctuée, comme les saisons précédentes, de rencontres avec les habitants du territoire Loirétain, traduisant l’engagement du Centre d’art contemporain d’intérêt national à être impliqué fortement sur son territoire. Pour cela le Centre d’art contemporain accueille Julie Chaffort en résidence territoriale et Alex Balgiu en résidence d’auteur dès à présent. Dans le rapport de proximité permis par ces dispositifs, tous deux interrogeront tour à tour les façons d’habiter nos espaces de vie à travers des temps croisés de création et de pensée.