Pendant la durée de l’exposition Trop près du Loing, l’artiste Guykayser a positionné l’image d’un limnimètre sur 5 façades (La salle des fêtes de Montargis, Le musée Girodet, Le Moulin Bardin, Le silo Caproga et Les Tanneries), pointant ainsi 5 étapes d’un parcours.
Ces étapes sont présentées dans une web application développée par les Tanneries.
L’ensemble du récit des 15 témoins de « Trop près du Loing » et des photographies jalonnant ce trajet, est constitutif d’un autoportrait collectif que l’artiste continuera de développer au-delà de l’exposition, devenant Le chemin du Limnimètre sera à redécouvrir à partir de septembre 2019. Un chemin qui restera à parcourir désormais au fil des saison
Raymonde
On a été prévenus dans la journée qu’il fallait faire attention, que Montargis allait être inondé.
Mais comme on a le Vernisson, ça faisait trois ou quatre fois qu’on avait été inondé, mais l’eau s’arrêtait dans le jardin.Le lendemain ça repartait.
Puis à 10h j’ouvre la porte « ah…ça traversait ma véranda, alors j’étais en chaussons et je balayais, je balayais, et puis mon petit voisin Eric, il me dit où t’en es Raymonde, alors il reprend un balai puis il m’aide à balayer, puis alors on balayait la véranda, l’eau on la poussait pour pas qu’elle rentre dans la maison…
Dis donc, on se retourne, il me dit Raymonde, Raymonde, il me dit, faut que je ferme le compteur. Il dit puis regarde, on a les pieds dans l’eau, il y avait 10 centimètres d’eau dans la maison.
Quand on a trente ans ou quarante ans, ça va, et alors que tout ce qu’on a eu toute l’année, toute sa vie, on n’a plus rien.
Et de voir tout, de voir tout parterre, tout ce que j’ai construit, tout est parti, je pouvais plus réagir et puis fallait s’occuper de l’assurance.
On va à l’assurance, très gentil, pas de problème et tout. Mais ils vous demandent des papiers, si j’étais bien propriétaire, je l’ai achetée en 53, mais tout ce qu’ils ont entré dans leur ordinateur c’est à partir de 54, et il a fallu que je trouve le notaire, mais le notaire, il y a longtemps qu’il est mort…
Ce meuble-là, j’y tenais comme la prunelle de mes yeux, c’était mon oncle qui l’avait fait et il était très très très vieux et puis c’était à moi.
Avant j’avais trois fauteuils et un canapé, maintenant j’ai plus qu’un canapé, j’ai abandonné les fauteuils.
J’avais un lampadaire, j’ai plus de lampadaire. ce meuble là, c’est mon voisin, un monsieur qui a déménagé, qui me l’a donné.
Non mais j’vous dit il y a eu du bon aussi parce que ça m’a permis de connaître les voisins et puis de voir qu’il y a des gens qui sont formidables.
Ma petite coiffeuse, c’est pareil, ça je l’oublierai jamais, comme elle avait pas de client, elle est venu le lendemain, c’est elle qui m’a aidé à vider toute l’armoire et qui a emmené ça chez elle pour les laver.
Je suis rentrée chez moi le 23 novembre.
Pascale
Je vois que ça monte un peu donc même si j’étais en congés je monte voir dans la salle des coffres.
J’ai un appel de Patricia qui me dit « Pascale, il y a un problème, il y a de l’eau qui coule sur la salle au-dessus de la salle des coffres, qu’est ce qu’on fait ?
Plus de lumière, donc je descends, j’enfile mes bottes, je descends, donc il y avait une chaîne, humaine, qui s’était créée, la moquette elle fait plouf plouf plouf, l’urgence c’est, montons le plus de choses possibles, et puis à un moment tu as les pompiers qui arrivent et qui disent bon maintenant c’est la dernière fois maintenant vous remontez parce que là il y a des risques. C’est le pompier qui arrive et qui dit on part bat je lui dis prenez ce carton, et il me dit non, je dis, s’il vos plaît prenez le carton et on part, c’est des dessins, et tu fermes les portes.
Tu fermes la porte, tu montes, et là je me suis dit c’est foutu. J’ai eu un fragment de seconde et je me suis dit, « il n’y a pas de miracle, il n’y aura pas de miracle ». Et tu entends cinq minutes après, tu entends un boum et tu te dis « purée, là c’est la porte vitrée qui explose, tu sais pas, tu sais pas…T’entends un boum et tu dis bon ben voilà quoi, et là ça coupe; là c’est un sas, c’est un sous-marin qui prend l’eau quoi..; T’imagines pas que tout va être rempli d’eau quoi…
Par chance, sur Paris, il y a un colloque sur la restauration et il va y avoir une sorte de mobilisation, vendredi, je découvre, le samedi matin arrivent les premiers restaurateurs, je dis « je n’ai qu’un mot à vous dire, les réserves, c’est un mikado géant ».
Tu restes quand même quelque part responsable d’une collection, donc quand il t’arrive ça, quand même, avec ta collection quelque part, ça reste douloureux.
Jacques
Et donc je me lève pour pisser, comme d’habitude, et j’avais de l’eau au-dessus des chevilles.
Je reviens et je dis : « trois quatre heures du mat’, qu’est ce que je vais faire ?
Il fait noir, la nuit est pas finie, dans une heure il fait jour donc je me remets au lit et je me suis rendormi.
Il y a deux version après, c’est que Marie-Christine m’a dit : « écoute, tu vas pas dormir chez toi, tu vas venir là…
Et ma version à moi, c’est de dire » et bien quand j’ai vu que l’eau, j’étais inondé comme ça, j’ai pris mon revolver, je suis allé dans les maisons voisines, la première qui m’est venue à l’esprit, et je suis arrivé, j’ai dit « bon maintenant, je vous ordonne de m’héberger parce que moi, je suis dans le besoin, je suis très traumatisé par tout ça.
Voilà comment, ma dame, j’ai dormi chez elle. Sur la terrasse, environ dix centimètres, il y en avait soixante à soixante-dix dans les petites chambres et il y en avait ça dans ma chambre, c’est plus bas là-bas, et ici, ça monte légèrement.
Y’avait cinq centimètres là-bas au bout, mais là il y en avait un peu plus, alors donc voilà, les premiers jours on a attendu que ça baisse et puis ensuite ma fille s’est emmenée avec son copain, ils ont été chouettes, et puis mon p’tit fils etc.
Après, alors là, ils ont bossé à fond. Tout ça a pourri, bien sûr, parce que ça a été dans l’eau pendant plusieurs jours.
Alors mon gendre avec mon petit-fils, et vu leurs muscles, ils ont tout cassé ça, ils ont fait des tas énormes, et moi j’ai fait vingt voyages à la déchetterie avec ça, j’étais persuadé que ça mouillerait jamais, et quand ils ont fait les égouts ici, ils ont mis des buses comme ça, pour éviter que ça fasse barrage.
Peut-être que ces buses étaient bouchées aussi…
J’avais un projet, j’avais des vieux négatifs depuis toujours, effectivement j’aurais bien aimé, mais j’ai une tendance trop, moi aussi, à repartir vers le passé, à mon âge ça arrive, c’est fréquent et c’est pas plus mal.
Et puis ça veut dire que moi ça a coïncidé avec cette liaison naissante…
Tu sais, c’est de la faute aussi des ratons laveurs, hein !
Benoit
Alors nous on était sur le site, j’étais sur le site. En fait j’ai un collègue qui est venu me voir puis qui m’a dit : « dis donc, l’eau elle commence à monter là-haut, ça passe par dessus le Loing quoi, ben l’eau a continué d’avancer quoi, et on vu que ça montait assez vite. Quand on a vu que ça sortait de son lit c’était en milieu de matinée, parcontre nous on a été un petit peu coupé, en fait c’est des collègues par rapport à leurs femmes, ou des amis qui ont dit « attention, Montargis est en train d’inonder, à l’accueil ils nous ont pas appelés, c’est moi qui ai commencé à donner l’alerte, en fait… » attention, l’eau elle monte, et puis on a quand même beaucoup de marchandise que ce soit céréales, fito, engrais, puis nous aussi !
En fait ce qui était impressionnait c’est la vitesse où ça allait, donc là on a commencé à donner l’alerte, à dire attention, là faut peut-être qu’on fasse quelque chose, qu’on évacue, et donc le responsable des transports a fait rapatrier le camion. Vu à la vitesse ou ça montait on a dit que fallait mettre en hauteur tout ça, donc on les a rentré dans les magasins, et donc il a dû constater, et effectivement il est resté une demi-heure là, et en une demi-heure ça avait gagné une vingtaine de mètres, donc il a dit « ah oui, là, faut tout rapatrier puis vous vous sauver. Tout le monde a rentré son véhicule là dedans puis s’est sauvé et est rentré chez soi.
Le lendemain, on est deux à être venu constater l’ampleur des dégâts, on a constaté que tout ce qui était partie inférieure, tout ce qui était galerie centrale, des magasins, des cellules et des pieds élévateurs, tout ça était rempli d’eau. Par chance ça s’est arrêté et on eu aucun kilo de grain qui a été touché. On se prendrait quand même cent mille tonnes de grain, de place de stockage. Et nous après il a fallu faire tout le travail de nettoyer, tout vider les pieds élévateurs, les pompes, puis tout passer au karcher… On n’a pas pu fonctionner avant une quinzaine de jours, trois semaines.
Luc
Mon fils m’appelle en me disant « l’eau, elle a bien monté », elle est dans les prés en bas, il va falloir rentrer les animaux.
Je lui dis « écoute, pas de soucis, je suis pas inquiet, on verra ça demain pour rentrer les animaux, y’a pas de raison ».
Vers minuit, mon fils me dit : « écoute papa… il vient me réveiller en me disant « l’eau elle monte, l’eau elle monte, il faut aller voir ».
Donc je suis descendu, on a été voir, et effectivement, l’eau avait bien bien bien monté.
Quand j’ai vu ça j’ai dit on va commencer à rentrer les animaux, donc j’ai pu rentrer les chevaux, tous les animaux domestiques.
L’eau montait, l’eau montait et là je commençais quand même à m’inquiéter…
J’ai tellement vu de choses arriver très vite, mon fils qui a failli se noyer parc qu’il voulait aller couper les filets de ses volières à la nage, et il s’est pris malheureusement un tronc d’arbre qui l’a cogné; les pompiers l’ont rattrapé, ils lui ont dit : « écouter, faut arrêter maintenant ».
Il y avait des kangourous, il y avait des daims, j’avais des mares, des lamas, des chèvres naines, tout ça, donc ça a été très très compliqué pour aller les rechercher.
J’avais un endroit pour les attraper, les animaux se laissent attraper sans aucune difficulté, même les daims et les wallabies; le seul souci, c’est que là, les animaux,
comme les humains, ils sont affolés, la panique…
Même si les pompiers avaient un bateau pour essayer de les attraper, c’était impossible…En fait les animaux sont morts d’épuisement.
Quand l’eau, malheureusement, a baissé, sept ou huit jours après, on a retrouvé effectivement des cadavres d’animaux un peu partout. C’était terrible, c’était terrible !
Moi j’ai retrouve deux femelles daim mortes, à 1 mètre quatre vingt, perchées dans les arbres. Les daims ont en a sauvé deux, on a sauvé une femelle, qu’on a pu attraper sur la route, et puis mon mâle blanc, qui était dans la rue après le pont, sur la gauche.
Donc ce que j’ai fait c’est qu’aujourd’hui j’ai des animaux qui sont que des animaux domestiques, que je puisse attraper très très facilement et j’attends pas de voir l’eau monter, puis par rapport au niveau d’eau je les lâche et quand ça monte à un certain niveau je les enferme.
Ici, c’est un havre de paix, un paradis. Quand j’ai acheté ici je savais que c’était un terrain en zone inondable, donc faut pas se voiler la face. »